Quand vous viendrez nous chercher/comme une autre version de moi
On en arrive finalement à la chanson Quand vous viendrez nous chercher. C’est ma première chanson d’amour. Dédiée à celle qui partage ma vie depuis l’adolescence. Étant donné que l’album parle de tous les membres de la famille, je tenais aussi à faire une chanson sur mon épouse. Je me suis éloigné ici du mythe guarani qui ne consacre pas vraiment de chapitre sur le sujet.
J’ai travaillé longtemps sur cette chanson. Il existe tellement de chansons d’amour que c’était difficile de trouver une bonne idée. Finalement, j’ai décidé d’exprimer la beauté tragique de l’amour face à la mort. Même un couple qui dure depuis longtemps, même le plus grand amour, va se terminer un jour, à cause de la mort. J’ai donc imaginé ce couple d’humains, séjournant temporairement sur la nouvelle terre, et qu’un jour on est venus chercher pour les envoyer vers l’au-delà. Dans la demeure céleste de Ñamandu.
Ce qui rend cette chanson unique, c’est la section finale. J’aime beaucoup les chansons qui progressent vers une apothéose. La chanson aurait pu rester une ballade standard piano-voix, mais à partir du milieu de la chanson, il y a un solo de guitare électrique qui nous mène à une finale presque orchestrale.
Il y a quelque chose de spirituel dans cette finale. On dit souvent qu’il faut accepter la mort. Moi je pense que pour accepter la mort, il faut d’abord accepter notre refus de la mort, c’est-à-dire notre désir d’immortalité. C’est correct de refuser la mort, de trouver que la mort est triste. C’est totalement inacceptable de réaliser qu’on va mourir un jour et que les gens qu’on aime vont mourir. Je comprends ceux qui croient en une vie éternelle. C’est une belle fiction. On n’a pas de pouvoir sur la mort, mais on a le pouvoir de créer un monde imaginaire où la mort n’existe pas. C’est un peu ce que j’ai fait dans cette chanson, mais en enracinant le thème de la mort dans le thème de l’amour.
Musicalement, l’album aurait pu se terminer avec Quand vous viendrez nous chercher. Mais il aurait manqué un chapitre à l’histoire : le chapitre de l’enfant. Je tenais à terminer l’album avec un point de vue tourné vers l’avenir.
J’ai composé Comme une autre version de moi quand ma femme était enceinte de mon fils Laurent. Je voulais m’adresser directement à mon fils. Lui livrer un message. Avant même sa naissance. Comme pour lui souhaiter la bienvenue dans le monde. C’était important pour moi de le connecter au miracle de la vie. Naître, c’est advenir à l’existence, c’est l’événement qui fait que, tout-à-coup, on est là. L’émerveillement face à la conscience d’exister est la première chose dont j’avais envie de parler avec mon fils.
Mais il y avait autre chose dont je voulais lui parler : la vie est belle, mais c’est une beauté tragique. Cette chanson est donc aussi une façon pour moi d’exprimer mon désir impossible de le prémunir à l’avance contre toutes les souffrances de l’existence et ultimement la mort.
C’est un étrange cadeau quand on y pense : d’offrir la vie à un être, sans son consentement, qui va éventuellement prendre conscience qu’il va mourir. Mais c’est ça la beauté tragique de la vie : la vie est belle parce que la mort nous fait philosopher.
Et quand on philosophe, on est humains.
-Merci infiniment à Sylvio Arriola pour la réalisation de ces capsules vidéos et à Marianne Langston pour le montage.