PREMIÈRE TERRE / COLIBRI
Inspiré par les albums-concepts classiques comme Dark Side of the Moon de Pink Floyd, j’ai voulu que les trois premières chansons de l’album s’enchaînent sans coupure. Pour qu’on sente que ce sont trois moments d’une même expérience. L’origine à l’envers enchaîne donc avec Première terre.
Une fois que Ñamandu s’est autocréé, il crée les dieux qui l’aideront à créer la première terre et ensuite les premières plantes, les animaux et finalement les premiers humains. La première terre, c’est en quelque sorte le paradis originel où les humains cohabitent en harmonie avec les dieux et le reste de la nature.
Le mythe raconte que Ñamandu a croisé deux bâtons indestructibles sur lesquels il a déposé la terre. Pour ne pas que le terre parte au vent, il a ensuite attaché chaque extrémité à des palmiers sacrés sur lesquels il a déposé le firmament. Le serpent, la cigale, la sauterelle, le tatou et la chouette sont parmi les premiers animaux qui habitent cette forêt sans savanes et qui assisteront à l’incarnation des humains.
Pour moi, la première terre est comme une expérience de pensée qui nous permet d’imaginer ce que ce serait de voir le monde pour la première fois. Comme un extra-terrestre qui débarque sur la terre et qui voit un arbre pour la première fois. C’est intéressant d’essayer d’adopter ce regard nouveau sur ce qui nous est devenu très familier. Ce n’est pas seulement une vue de l’esprit. C’est un exercice qui change complètement notre rapport au monde.
C’est la chanson la plus joyeuse de l’album. Quand on voit la vie pour la première fois, comment ne pas être émerveillé et joyeux? C’est comme un hymne à la nature. Je trouve qu’il y a quelque chose de “beatlesque” là-dedans, ou du moins qui fait penser à la pop psychédélique bonbon des années 60. J’aime particulièrement le solo de fuzz au milieu de la chanson, un peu déconstruit, bien en avant dans la musique, et qui se promène de droite à gauche comme dans les bonnes vieilles chansons psychédéliques.
La chanson enchaîne ensuite directement avec Colibri, ce qui met fin au genre de medley des trois premières chansons. Dans le mythe guarani, après l’incarnation des humains, il y a tout un développement sur les premiers parents et les fils qu’ils ont mis au monde. J’ai laissé ici de côté le récit anecdotique du mythe pour me concentrer sur le thème universel des parents. Je voulais prolonger le cycle de la création de Ñamandu en mettant en scène d’autres créateurs, les parents, qui cette fois-ci engendrent des humains, leurs fils.
Pour concrétiser cette idée, j’ai décidé de faire parler mes propres parents. En espagnol et en guarani. Je voulais qu’on entende le son des langues. Leur musicalité. Même si on ne comprend pas la signification. Un autre thème central du mythe guarani est la création du langage. D’ailleurs, le titre du livre de Leon Cadogan peut être traduit par « Le fondement du langage ».
Il est très intéressant de souligner que selon le mythe guarani, Ñamandu crée le langage avant de créer la première terre et les premiers humains. C’est comme si les choses naturelles et les humains ne pouvaient pas exister sans le langage qui rend possible toute relation. Il faut d’abord que le langage existe, comme quelque chose de fondamental. « Ayvu », le mot guarani qu’on traduit en français par « langage » ne signifie pas seulement le langage humain, mais aussi le chant des oiseaux et des insectes. Le langage humain est donc une version du langage divin de la nature créé par Ñamandu.
Pour exprimer tout ça, j’ai donc demandé à mes parents de lire certains passages du mythe guarani. C’est comme si leurs paroles étaient créatrices. Elles cherchent à générer quelque chose. Un peu comme une incantation ou une formule magique : quand on dit ces paroles, il y a quelque chose qui se produit. On assiste en quelque sorte à un rituel de création par les mots. C’est la nature qui crée à travers le langage. On sent la pulsation de la nature et le mouvement qu’elle engendre.
Je trouvais intéressant que le colibri soit au centre de ce rituel de création. Tout comme le colibri participe à l’autocréation de Ñamandu en nourrissant les fleurs de son arbre, il accompagne l’acte créateur des parents.